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«J’ai perdu 450.000 euros, n’importe qui peut se faire avoir» : l’engrenage infernal des victimes de fausses plateformes d’investissements

il n'a jamais été aussi important d'être vigilant

article reproduit du Figaro publié le 22/06/2024 – lien de l’article original réservé aux abonnés : https://www.lefigaro.fr/finances-perso/j-ai-perdu-450-000-euros-n-importe-qui-peut-se-faire-avoir-l-engrenage-infernal-des-victimes-de-fausses-plateformes-d-investissements-20240622

RETROUVEZ L’ENQUÊTE DU FIGARO Par 

À mesure que le trading se démocratise, les arnaques aux placements se multiplient sur internet. Des boursicoteurs, qui pensaient avoir trouvé le bon filon, se réveillent ruinés.

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«J’étais comme un drogué, j’étais pris au jeu… Vous auriez pu me dire ce que vous vouliez, je ne vous aurais pas écouté…», confesse Patrick*. Arnaqué par une fausse plateforme d’investissements, ce retraité de 63 ans s’en remet difficilement. «Quand on redevient lucide et qu’enfin on prend du recul, on se dit : “Mais comment j’ai pu faire un truc pareil ?”», s’interroge-t-il toujours, l’air absent. Une fois pris dans l’engrenage du trading, ce boursicoteur néophyte s’y est jeté corps et âme. Au point de jouer le gros de ses économies… et de perdre 450.000 euros. «Et pourtant, je ne suis pas du genre crédule… J’ai travaillé toute ma vie dans la logistique et ai managé jusqu’à 500 personnes et cinq entrepôts en même temps, met en balance Patrick, alors si moi j’en ai été victime, tout le monde peut se faire avoir…»

Un avertissement lancé aux curieux qui hésitent à se lancer dans le trading en ligne. Ainsi, 15% des répondants au baromètre AMF de l’épargne et de l’investissement 2023 déclarent avoir déjà été victimes d’une escroquerie sur un placement financier. Comme beaucoup, Patrick «se méfiait de tout ce qui est sur internet, et surtout des mirages de la réussite facile». Mais après une vie à épargner, la retraite venue, l’idée de faire fructifier son pécule se faisait plus pressante. «J’avais assuré la tranquillité financière de mes deux filles en leur achetant chacune un appartement. Il me restait un peu de sous sur les comptes, alors je me suis dit : “Pourquoi les laisser dormir ?”», explique-t-il.

Cette pensée le travaillera un temps, jusqu’à ce qu’une publicité apparaisse sur son fil Instagram : le récapitulatif d’une interview de Yann Barthès, le présentateur star de Quotidien, par l’animatrice radio Alessandra Sublet. «Ils parlaient de trading, que l’on pouvait se faire beaucoup d’argent simplement, grâce à des robots boostés à l’intelligence artificielle», se remémore Patrick. De quoi l’inciter à cliquer sur la publication. Il est alors redirigé vers un site internet, «au nom sérieux», invitant les visiteurs à laisser leurs coordonnées pour obtenir plus d’informations sur cette poule aux œufs d’or. Ni une, ni deux, c’est chose faite. Patrick est rappelé dans la foulée.

«Ils m’ont rapidement convaincu d’investir 10.000 euros»

Au bout du fil, la voix est sympathique : «Allo, Monsieur X ? Vous avez déposé une demande pour faire du trading avec nous. Nous allons tout vous expliquer et vous guider pas à pas». En trois clics, Patrick a accès à une plateforme d’investissements : les cours des actions et des matières premières défilent en temps réels. Il fait un premier virement de 400 euros. Aussitôt, une autre interlocutrice appelle le débutant et se présente comme une trader américaine, basée en Australie. Là, le discours devient très pointu : «“Écoutez, vous avez une expérience limitée de la Bourse, donc je vous propose de travailler sur l’or, et uniquement sur l’or”, me dit-elle. C’est rassurant, car l’or, c’est concret. On sait de quoi on parle, c’est basé sur quelque chose de physique. Tout l’inverse des cryptomonnaies», rembobine Patrick.

Les explications faites, le néophyte et sa guide commencent les placements. Du petit volume au début, 10 ou 20 euros par opération, histoire de familiariser Patrick à la plateforme tout en lui prouvant la véracité des retombées économiques. «M’est alors expliqué qu’il faut investir plus pour gagner plus. J’étais assez ouvert là-dessus, alors ils m’ont rapidement convaincu d’investir 10.000 euros». En une journée, Patrick double sa mise. Le piège s’est refermé.

Le temps passe et les succès s’accumulent pour Patrick qui prend du galon, au point de devenir indépendant sur les placements. Les experts ne lui donnent plus que la tendance du jour et lui s’occupe seul des placements. Les gains s’accumulent et les nouveaux investissements s’enchaînent. Le boursicoteur siphonne tous ses comptes, son plan épargne retraite, son assurance vie… Investir des dizaines de milliers d’euros prend du temps et demande des confirmations bancaires importantes. Des obstacles que la plateforme fait sauter aisément à ses clients : une ligne de crédit et tout est réglé. Au créditeur de rembourser en transférant les sommes via l’intermédiaire d’une banque en ligne. La subtilité étant qu’il est impossible de retirer ses placements si vous avez un crédit en cours ou une position déficitaire.

Au total, 500.000 euros sont investis en quelques mois et le portefeuille numérique de Patrick dépasse deux millions d’euros. «Là-dessus, j’avais réussi à récupérer 50.000 euros, ce qui me confortait dans mon idée que c’était des gens sérieux». Il se rappelle son état d’esprit : «Je gagnais plus d’argent que je n’en avais jamais dépensé, alors voir mes comptes bancaires asséchés ne m’inquiétait pas plus que ça… Je me démenais, c’était passionnant. J’ai passé beaucoup de temps dessus car je croyais gagner de l’argent». Jusqu’au jour où il a fallu retirer le gros lot.

Le plan de Patrick est tracé : «Mon portefeuille affichait 2,2 millions d’euros. J’ai voulu récupérer ma mise de départ et continuer de jouer avec le reste». Alors que sa demande est en attente, il reçoit un coup de fil d’un nouvel interlocuteur, un prétendu directeur de salles de marché, qui lui fait part d’un énorme coup à faire sur le palladium. Patrick achète, et l’action s’écroule. Là s’engage un processus complexe, mettant en jeu une chambre de compensation, où l’investisseur déficitaire est obligé de réinjecter 400.000 euros pour débloquer son portefeuille suspendu.

Patrick appelle alors plusieurs de ses copains pour le dépanner et contacte une société de placements immobiliers où dormaient encore 100.000 euros à lui. Interrogatif, le responsable lui demande ses motivations pour retirer cet argent, et Patrick lui déballe tout. Inquiet, l’autre lui transmet le contact d’un avocat en finance. Le couperet tombe : il n’existe pas de chambre de compensation pour les matières premières. Patrick flaire alors l’arnaque, et réalise tout à fait quand sa dette est abaissée à 200.000 euros, sans vraiment d’explications. «Ma femme faisait des bonds depuis le début de l’histoire du palladium. Elle me dit alors : “tu vois bien que les sommes sont à géométrie variable, c’est complètement ridicule !”. Là, je me réveille enfin», lâche-t-il. Le pot aux roses découvert, Patrick prend contact avec Maître Ziegler, un avocat spécialisé dans les arnaques en ligne.

«Même des députés se font avoir»

«Ce n’est que pendant nos entretiens que les victimes se rendent comptent de l’escroquerie», commence Jocelyn Ziegler, «avant, ils ont toujours l’espoir de ne pas s’être fait avoir». C’est dire l’emprise psychologique de ces escrocs qui «vous mettent dans une situation de dépendance. Vous êtes convaincu du bon fonctionnement du système. Leurs discours jouent avec les émotions. Ils vous assurent que vous prenez l’argent que les banques refusent de vous donner.» Et comme le constate l’avocat, le scénario vécu par Patrick se répète à chaque fois, avec plus ou moins de pression psychologique, plus ou moins d’emprise.

Mais la vérité est brutale : «l’argent n’est jamais investi et est simplement détourné. Rien n’est vrai avec ces arnaques. La plateforme n’existe pas, l’investissement n’existe pas et l’argent ne sera jamais rendu au client», poursuit le spécialiste. Il s’agit en réalité d’un logiciel de simulation, une interface parfaitement identique à celles des véritables plateformes de trading, où les vrais cours des actions varient en temps réels. Les positions prises seraient donc vraiment gagnantes ou perdantes, si l’argent était vraiment misé.

Sauf que «les victimes ne sont pas des sachants. Ils n’ont presque jamais d’expérience de trading préalable et n’ont pas le réflexe de demander telle ou telle preuve. Ils font confiance d’emblée à la parole du professionnel», constate Maître Ziegler, dont le cabinet a été contacté par 1200 personnes mais ne traite que les dossiers avec un préjudice supérieur à 40.000 euros. Les profils sont pourtant hétérogènes : «des hommes comme des femmes, ayant fait de grandes études ou non, actifs ou retraités. Et de toutes les professions : des camionneurs comme des avocats. Même des députés et des banquiers se font avoir», énumère-t-il. Les escrocs vont jusqu’à payer de faux avis en ligne pour crédibiliser leur plateforme. «Néanmoins, avant tout investissement sur une plateforme en ligne, un petit tour des avis négatifs sur Trustpilot peut permettre de débusquer les arnaques», recommande vivement Me Ziegler.

L’arnaque consommée, les recours juridiques sont difficiles. Au civil, la défense s’articule autour du Code monétaire et financier qui stipule que les établissements bancaires ont une obligation de vigilance d’information et de sécurité à l’égard de leur client. En clair, les banques sont censées contacter le client qui déroge à ses habitudes, lui poser des questions et demander les contrats d’investissements, avant de lui faire signer une décharge de responsabilité. «Souvent, nos dossiers se règlent à l’amiable car nous arrivons à prouver les manquements de la banque, qui accepte alors de rembourser jusqu’à 60% du préjudice financier», précise Me Ziegler. Avant de jeter la pierre aux réseaux sociaux qui gagnent de l’argent en diffusant les publicités mensongères et autres hameçonnages, et à l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). «Nous envoyons entre 60 et 100 signalements de fausses plateformes d’investissements par mois. Seules deux ont été enregistrées sur la liste noire de l’AMF», fustige-t-il.

«Il est important de ne pas se tromper de gendarme. En matière d’escroquerie, seule la justice est compétente et habilitée à intervenir », rétorque le gendarme des marchés financiers qui assure que «la protection des épargnants est la première de ses priorités». Lorsque l’Autorité détecte un site internet frauduleux, elle procède à un contradictoire c’est-à-dire à un rappel à la loi. Sans réponse dans les 7 jours, l’AMF place le site non autorisé sur liste noire. Une inscription qui peut être complétée par un blocage de l’accès au site litigieux depuis le territoire français. Dans tous les cas, l’AMF «recommande aux épargnants, avant d’investir, de vérifier la liste noire des sites non autorisés ».

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