JEUNE ET RETRAITE : Lucas, 52 ans, coule des jours tranquilles dans le Var. Pendant près de 20 ans, il a développé une stratégie pour s’offrir cette liberté.
Au prix de stratégies minutieuses, d’efforts et de prises de risque, ces Français sont parvenus à réaliser leur rêve : partir à la retraite bien avant l’âge légal. Ils racontent leurs méthodes, leur vie et leurs paris.
Lucas* a grandi à Doullens dans la Somme, où il aide ses parents dans la petite quincaillerie familiale. Il n’a jamais pris l’avion, rêve d’horizons lointains. Pour lui, le Graal, c’est la retraite à 50 ans, avec suffisamment d’argent pour voir enfin du pays. Il va faire mieux.
Le bac en poche, Lucas passe un DUT «Tech de co» (techniques de commercialisation) à Amiens : étudiant boursier au début des années 90, il vit avec 200 francs par semaine (environ 30 euros, NDLR) qu’il arrondit grâce à des petits boulots. C’est une rencontre qui va tout changer.
Lucas, qui grenouille dans un club d’investissement depuis quelques années, rencontre en 1996 un assureur de l’UAP (compagnie d’assurances française, rachetée par AXA), qui cherche à recruter des agents généraux. « Est-ce que vous aimez l’argent ? », demande le recruteur à Lucas, qui acquiesce sans vergogne.
Mais le jeune homme n’a pas les fonds pour racheter un portefeuille d’assurances. La compagnie lui propose une alternative. Elle dispose alors d’une dizaine de portefeuilles non rentables, qu’elle se propose de confier à des agents, pour rien, à charge pour eux d’inverser la vapeur. « Un coup de bol », estime aujourd’hui Lucas.
Après un an de formation, il écope ainsi d’un portefeuille d’environ 400 petits clients à Valenciennes (Nord), dont les charges fixes tournent autour de 80.000 euros, pour un chiffre d’affaires de seulement 50.000 euros – somme qu’il aura à verser au bout de cinq ans. « Au bout de deux ans, en compressant au maximum les frais généraux et en dégotant par ailleurs de gros contrats, je réussissais à me dégager l’équivalent d’un salaire de 2000 euros nets ; après trois ans, j’avais déjà de quoi racheter mon portefeuille ; la quatrième année, mon chiffre d’affaires atteignait 150.000 euros ; la cinquième, il flirtait avec les 200.000 euros », raconte Lucas. « Le jeune assureur avait déjà alors un niveau de vie qui le classait dans les 2-3% des Français gagnant le mieux leur vie », commente David Charlet, président de l’Association nationale des conseils financiers (Anacofi), qui rappelle qu’à la fin des années 90, le salaire mensuel moyen tournait autour de l’équivalent de 1000 euros.
Une stratégie immobilière progressive
Lucas, tout tendu vers son objectif de retraite à 50 ans, n’attend pas pour investir : dès 1999, il achète en même temps sa résidence principale et un premier bien locatif – des acquisitions modestes pour des valeurs unitaires autour de 30.000 euros. « La fin du XXe siècle fut la période la plus basse en valeur jamais connue dans l’immobilier », se remémore David Charlet. Surtout, il réalise cette double acquisition au prix d’une ruse, confesse tout de même Lucas : « j’ai contracté simultanément deux prêts auprès de deux banques différentes, sans les informer».
Les affaires continuent de bien marcher. Au fil des années, il revend deux fois son logement pour en acquérir un plus grand, tout en veillant à « éliminer rapidement le prêt sur la résidence principale, qui pèse à plein sur le taux d’endettement », et qui pourrait freiner ses acquisitions immobilières. En 2015, il possède 24 maisons, surtout dans le Nord, mais aussi trois appartements, deux à La Réunion et un sur les bords du Lac Léman, acquis grâce aux dispositifs De Robien, Paul et Girardin qui permettent de défiscaliser. « Je n’ai jamais vu ces biens, c’est de l’investissement financier pur », explique-t-il. « Lucas, qui est passé au travers des mauvais investissements, a effectué un travail de valorisation de son patrimoine, analyse David Charlet. Grâce aux lois d’optimisation fiscale qui se sont succédé et s’éteignent progressivement, il a à la fois joué sur l’endettement et l’effacement de sa fiscalité. » Tous ses prêts étaient par ailleurs calés pour expirer autour de ses 50 ans, en 2023.
En 2016, il passe des vacances à Hyères (Var) et tombe amoureux des îles d’Or. Il décide de précipiter sa retraite anticipée et cède son portefeuille d’assurances pour 400.000 euros bruts. « Le métier était en train de changer sous l’influence du numérique, les contacts humains s’étiolaient », déclare-t-il. Il revend aussi sa propriété cossue de Mouvaux (Nord), achète cash quatre chambres d’hôte qu’il restaure sur l’une des îles. Il change alors de vie : fini la Porsche et le dernier iPhone, il roule en Dacia et tient sa maison d’hôte six mois par an, du 15 avril au 15 octobre, « une activité plaisir dans un décor de rêve », résume-t-il, pour le modique revenu de 1500 euros par mois – « juste de quoi valider des trimestres pour la retraite et cotiser pour l’assurance maladie », affirme Lucas. Le reste de l’année, il voyage. En 2025, destination la Hongrie, le Mexique et le Japon, et en 2026, cap sur Tahiti !
Liquéfier son patrimoine
À 50 ans, il se voyait multipropriétaire, tous ses prêts immobiliers soldés, avec un train de vie mensuel de 10.000 euros. Mais depuis trois ans, il commence à se départir de son patrimoine immobilier. « Gérer des biens à distance n’est pas de tout repos, sans même parler des locataires défaillants, explique Lucas, qui a déjà revendu 13 maisons dans le Nord. À terme, il envisage d’ailleurs de ne conserver que les appartements gérés par des agences, Outre-mer et sur le Lac Léman. « Je n’ai plus beaucoup de crédits immobiliers en cours, ce qui me valait un véritable matraquage fiscal. Je préfère désormais faire travailler mon argent sur des supports d’assurance-vie. » Ses placements et ses biens immobiliers lui permettent quand même de disposer d’environ 7000 euros nets par mois, « sans travail, sans aléa et à partir de 2030, sans aucune mensualité à rembourser », résume-t-il.
Dans l’univers des patrons de TPE-PME, on rencontre deux cas de figure, conclut l’expert David Charlet : « ceux qui s’arrêtent dès que possible, avec un premier palier de retrait vers 50 ans, d’autres qui continuent tant qu’ils peuvent, jusqu’à 80 ans parfois, quitte à ralentir leur activité ». Lucas a tranché : il profite de la vie !
*Le prénom a été changé.
Article reproduit du Figaro publié le 24/03/2025 – Lien de l’article original réservé aux abonnés : https://www.lefigaro.fr/retraite/lucas-retraite-a-44-ans-je-visais-un-depart-a-50-ans-j-ai-fait-mieux-20250324
Retrouvez l’article du Figaro, écrit par Marie Duribreux